Ø Je pense que la
plupart des problèmes relationnels, des conflits de personnes ont en
arrière-fond le pardon. Et je pense aussi
que derrière tout conflit relationnel, il y a un pardon qui n’arrive pas à se
donner, ou qui se donne de façon incomplète.
Ø C'est pourquoi le
pardon mutuel est très probablement la condition sine qua non de la paix dans
notre vie, dans nos familles et nos communautés et même monde. Ceci est bien
exprimé par Jean-Paul
II : (Il n’y a
pas de paix sans justice, il n’y a pas de justice sans pardon, Message pour
la journée mondiale de la paix, 1.1.02.) « Une
paix véritable n’est possible qu’à travers le pardon. (…) La paix
durable ne se résume pas à une question de structures, et de mécanismes. Elle
repose avant tout sur un style de cohabitation empreint d’acceptation mutuelle
capable de pardon. Nous avons tous besoin du pardon de nos frères et
sœurs ; il nous faut donc prêts à pardonner aussi. Demander et accorder le
pardon, voilà des actes qui sont le reflet de la profonde dignité de l’être
humain. C’est parfois l’unique chemin qui permet de sortir de situations
caractérisées par une haine ancienne et féroce » (Cœur en alerte, jan. 2000 p. 11)
Ø
Roman de François
Cheng : Un prisonnier dans un camp de rééducation en Chine :
« Pardonner. Je crois bien que c’est la seule arme que nous
possédions ; c’est notre seule arme contre l’absurde. Chacun de nous a
vécu des choses terribles. (…) Nous savons que nous ne pouvons pas agir comme
ceux qui nous ont fait du mal. Avec le pardon, nous savons que nous
pouvons rompre l’enchaînement des haines et des vengeances. Nous pouvons
prouver que le Souffle intègre persiste dans l’univers. » (Le dit de Tianyi, p. 341-344)
Ø
Nous avons vu hier que le principal obstacle à la paix sont les murs, les
barrières, les défenses intérieures que nous construisons pour nous protéger. Jean Vanier : « Le pardon
est précisément ce processus qui supprime peu à peu ces barrières, et nous
permet de commencer à accepter et même d’aimer ceux qui nous ont blessé »
(Accueillir notre humanité, p 182)
Ø
Le pardon, la réconciliation, est une
dimension fondamentale du christianisme :
Ø
A. Grün : « La
Bible décrit l’action de Dieu en Jésus-Christ comme une réconciliation.
L’Église des tout premiers temps a considéré comme une de ses tâches
essentielles d’annoncer et de réaliser la réconciliation. » [1]
Ø A. Grün : « Matthieu
fait du pardon l’attitude centrale de la communauté chrétienne. » (op.
cit. p. 17) Notre Père : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi
à ceux qui nous ont offensés… Car comme vous remettez vos dettes, elles vous
seront remises. Si vous pardonnez aux hommes leurs manquements,
votre Père céleste vous remettra aussi. Mais si vous ne remettez pas aux
hommes, votre Père céleste ne vous remettra pas vos dettes » (Mt 6,
12.14)
Mt 5, 25 : Pour
Matthieu aussi, la réconciliation est le critère d’authenticité du culte
chrétien : « Quand tu présentes ton offrande à l’autel, si tu
te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande
devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; puis
alors reviens, et alors présente ton offrande. »
A. Grün : « Matthieu
en a fait aussi (du pardon) la règle fondamentale de la vie en
communauté. Sa préoccupation est de pouvoir faire vivre ensemble les membres de
la communauté chrétienne dans l’esprit de Jésus » (ibidem) (Cf. Mt 18)
« Et une communauté ne peut subsister, sans que ses membres ne soient
disposés à se pardonner mutuellement. » (op. cit.
p. 20)
Ø A. Grün : La
réconciliation est aussi centrale dans la théologie paulinienne : On a vu hier le texte d’Éphésiens 2. Un autre passage où la
réconciliation est centrale : « Si donc quelqu’un est dans
le Christ, il est une création nouvelle; l’être ancien a disparu, un être
nouveau est là. Et le tout vient de Dieu qui nous a réconciliés
avec Lui par le Christ et nous a confiés le ministère de la réconciliation. …
C’était Dieu qui, dans le Christ réconciliait le
monde, ne tenant plus compte des fautes des hommes, et mettant en nous la
parole de réconciliation. Nous sommes donc les ambassadeurs du Christ, c’est comme si Dieu
exhortait par nous. Nous vous en supplions au nom
du Christ : laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2 Co 15, 17s)
St Paul voit aussi le pardon comme le
fondement de la communauté chrétienne : « Supportez-vous les uns les autres et pardonnez-vous mutuellement si l’un a contre l’autre quelque sujet de plainte. Le
Seigneur vous a pardonné, faites de même à votre tour. » (Col 3, 14)
Ø
Il y
a un lien très fort entre le pardon et la libération, entre le pardon et faire
tomber les murs : Si l’on se réfère à l’étymologie
grecque, le terme pour désigner l’acte de pardonner est le verbe aphèô, qui
signifie dans un sens premier libérer,
délier. On l’utilise lorsque
les portes d’une prison s’ouvrent pour libérer un prisonnier. Il signifie
aussi, mais dans un sens second, remettre
une dette ou une offense. [i]
Ø La libération, le
pardon, est au cœur du ministère du Christ : Dans l’Évangile de Luc, Jésus commence son ministère à Nazareth en
prononçant ces paroles : (4, 18) “ L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a consacré par l’onction
pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres, libérer (aphèô)
les prisonniers ”
Un peu plus loin, lorsqu’il pardonne au paralytique, Jésus utilise le même verbe : “ Tes péchés sont remis (aphèô
= libérés) ” (Lc 5, 20). Et tout de suite après, Jésus libère le
paralytique de son handicap. Le pardon est une dynamique de libération de
l’amour, libération de la vie ; dynamique de guérison, chemin vers la vie.
Ø Le pardon est donc une libération, un acte
libérateur, un acte qui fait tomber nos murs, aussi bien pour celui qui est pardonné que pour
celui qui pardonne.
- Car par le non pardon, je maintiens en quelque
sorte celui qui m’a offensé sous mon pouvoir, je dresse un mur entre lui et
moi ; je le maintiens dans un rapport de dépendance ; pardonner,
c’est faire tomber ce mur, c’est redonner à celui qui m’a offensé la pleine
liberté.
- Mais l’inverse est aussi vraie : en pardonnant, je
me libère de l’offenseur, je coupe le lien qui me maintient rattaché à lui, je
fais cesser son pouvoir sur moi. J’enlève le mur que j’avais construit pour me
protéger de lui. Ne pas pouvoir pardonner est une véritable servitude ;
c’est une entrave à une relation saine.
Ø Le pardon a une dimension créatrice: Il crée un espace où la
logique pénale et revendicative n'a plus cour: "Le pardon n'est pas oubli du passé, il est le risque d'un avenir autre
que celui imposé par le passé ou la mémoire" (in J. Monbourquette, Pardonner pour guérir,
p. 51). Le pardon est un acte créateur,
recréateur et libérateur qui ouvre un avenir nouveau, non déterminé par le passé.
Ø La violence, agression ou humiliation subie est comme un virus
dangereux qui tend à se communiquer. Seul le pardon peut venir rompre cette
chaîne fatale. Le pardon vient casser ce cercle
vicieux pour ouvrir un avenir nouveau, aussi bien pour soi-même que pour autrui. Ne
plus enchaîner, emprisonner les autres dans les conséquences de leurs actes, et
ne plus s’enchaîner soi-même
Ø Jean
Vanier : « Le
processus de pardon commence par la prise de conscience de nos peurs et de nos
barrières. » (Accueillir,
p. 200) Tant que l’on n’a pas conscience des peurs et des défenses, des murs
qui en découlent, nous continuons à vivre les relations sous ce mode défensif,
qui est presque toujours un mode empreint d’agressivité. Et il est alors très
difficile de pardonner.
Ø
Une
fois que la prise de conscience est faite, « le pardon est précisément
ce processus qui supprime peu à peu ces barrières, et nous permet de commencer
à accepter et même d’aimer ceux qui nous ont blessés. C’est la dernière étape
de la libération intérieure. » (Accueillir, p. 182)
Ø « Pardonner, c’est briser les murs
d’hostilité qui nous séparent les uns des autres et aider chacun à sortir de
l’angoisse provoquée par l’isolement, la peur et le chaos, pour le faire entrer
dans la communion et l’unité. Cette communion naît de la confiance, de
l’acceptation mutuelle » (Accueillir, p. 216)
Ø Pour pardonner au prochain, il est
nécessaire de se pardonner à soi-même. Et « pour se
pardonner à soi-même, il faut s’accepter tel qu’on est. La perte de la fausse
image de soi, qui permettait de se croire supérieur et de cacher ses fragilités
et ses fautes, peut réveiller une angoisse et une souffrance intérieure. Nous
ne pouvons accepter cette souffrance que si nous découvrons, cachée sous ces
masques et ces brisures de notre être, notre vraie personne profonde,
plus belle que celle que nous avions imaginée. » (Accueillir, p. 211-212)
Ø
Pardonner,
« c’est une libération de la prison de nos attirances et de nos aversions,
de nos haines et de nos peurs, pour marcher vers la liberté et la compassion.
Certes, dans ce processus, il y a, il y aura encore, en nous des inhibitions,
des ressentiments et des colères, mais le désir de liberté nous envahit chaque
jour d’avantage. » (Accueillir, p. 215)
Ø
Desmond Tutu a été président de la Commission Vérité
et Réconciliation, chargée de faire la vérité sur les crimes de l’apartheid
en Afrique du Sud.
Ø
Le
choix qui a été pris par le Commission Vérité et réconciliation a été
d’amnistier tous ceux qui avouaient publiquement les crimes qu’ils avaient
commis, seulement ceux qui avouaient, pas les autres ! Cette option a
favorisé les aveux, et a permis aux victimes de savoir, ce qui rend plus facile
le pardon.
Ø
La Commission a choisi de Faire justice, mais
autrement ; une justice plus empreinte de miséricorde, moins teintée de
vengeance. Le but de la
Commission était la recherche de l’unité nationale, le bien être de tous les
Sud-africains, la réconciliation de tous les citoyens, la reconstruction de la
société, la paix (le Shalom = le bien, la
vie de tout le peuple). Le procès
a été abordé dans une optique de compréhension et non de vengeance, de réparation
et non de revanche, d’ubuntu et non de représailles : Dans cette
notion d’ubuntu africaine, proche du shalom biblique, l’harmonie sociale
est le souverain bien. Tout ce qui est susceptible de compromettre cette
harmonie doit être à tout prix évité.
Ø
Lors d’un interview réalisée à Genève en 1998, Desmond Tutu parlait ainsi de la
Commission Vérité et Réconciliation : « Pour l’avoir expérimenté,
j’ai appris que nous, les humains, nous possédons une capacité terrifiante à
faire le mal. Au long des audiences de la Commission Vérité et Réconciliation,
en entendant les atrocités commises par l’homme, la seule façon de continuer
était de se dire : par la grâce de Dieu, je vais de l’avant. Dans ce
cadre, j’ai aussi découvert l’étonnante capacité des êtres humains à faire le
bien. Je pense à ces personnes ayant subi des actes horribles : je
m’attendais à les voir rongées par l’amertume, la colère ou la haine. Elles ont
fait preuve d’une grandeur d’âme admirable, d’une remarquable volonté de
pardon. Pour moi une conclusion s’est imposée : il n’y a aucun avenir
sans pardon. » (Echo magazine, 9.12.99, p. 15)
Aucun avenir sans pardon. Inversement, j’ai pu
expérimenter comment le pardon ouvre l’avenir, ouvre de nouvelles possibilités,
débloque des situations qui semblaient dans l’impasse, à quel point il est
créateur, libérateur.
Maret
Michel, Communauté du Cénacle au Pré-de-Sauges
[i]
En grec,
« « réconciliation » est construit sur la racine autre.
Se réconcilier implique un changement chez la personne qui se réconcilie. C’est
un acte dynamique qui vise à changer à l’égard de l’autre, ou à changer de
regard sur l’aurtre. » (Graz, p. 11)