Ø St Ignace est un jeune seigneur né à Loyola, en
Espagne, en 1491. C’est un militaire qui recherche les plaisirs du monde, les
honneurs, aussi coureur de jupons. Lors d’un combat à Pampelune, un boulet
vient lui briser la jambe. Commence alors un long chemin de convalescence, où
il est cloué au lit. Durant ce temps, il va lire beaucoup : des romans de
chevalerie, des histoires d’amour. Mais aussi, c’est ce qu’il avait dans la
maison, une vie du Christ et un livre sur la vie des saints. Il va
expérimenter, en fonction de ces lectures, des successions de pensées et
d’états intérieurs :
- Quand il pensait aux romans et aux conquêtes chevaleresques, il s’y complaisait beaucoup et vivait des moments d’exaltation. Mais plus tard quand, fatigué, il cessait d’y penser, il se trouvait triste et mécontent.
- Quand il pensait aux vies de saints et à aller à pieds nus à Jérusalem, il éprouvait de la joie, au moment de ces pensées, mais aussi plus tard, même après les avoir quittées.
Ø Ignace va commencer à s’intéresser à ces
alternances en essayant de comprendre ce qui les provoque. « Son expérience l’amena à
cette conclusion que certaines pensées le laissaient triste, d’autre
joyeux ; et peu à peu, il se rendit compte de la diversité des esprits
dont il était agité : l’esprit du démon et l’esprit de Dieu. » [1]
Cette question, on nous la pose plusieurs fois dans la journée. La plupart du temps, nous répondons machinalement : Ca va ! Mais dans la réalité, nous n’allons pas tous les jours pareillement.
Ø
Il y a des
jours où l’on peut dire : oui, vraiment cela va bien ; je suis
heureux, j’ai le goût de vivre, j’ai du dynamisme, de l’élan, j’ai envie de
rencontrer les autres.
Ø
Il y a des
jours où intérieurement, cela ne va pas : je suis triste, je n’ai pas le
goût à la vie et au travail, je n’ai pas d’élan, je suis inquiet, j’ai envie de
me replier sur moi-même.
Ø
Pour
apprendre à discerner, et commencer ainsi un vrai chemin d’intériorité, il faut
écouter ce qui se passe en nous. Il s'agit de repérer les mouvements
intérieurs qui nous agitent, car ces mouvements ont quelque chose à nous
dire : ces mouvements m’entraînent dans une direction, vers le haut
ou vers le bas.
Ø
Globalement,
il y a deux sortes de mouvements intérieurs (motions) :
- Il y a des mouvements intérieurs qui me
portent vers la vie : bonheur, courage, dynamisme, paix, confiance,
ouverture aux autres, vitalité spirituelle.
- Il y a des mouvements intérieurs qui
cherchent à freiner ou éteindre la vie : tristesse, goût à rien,
paresse, découragement, trouble, inquiétude, mauvaise humeur, repli sur soi.
Ø
Ces
mouvements intérieurs, ces sentiments, il faut apprendre à les repérer et à les
nommer, pour voir où ils veulent me conduire.
Ø St Ignace a divisé les différents sentis
de l’âme (motions) en deux catégories, deux pôles : consolation et
désolation :
- « … J’appelle consolation tout
accroissement d’espérance, de foi et de charité, et toute allégresse intérieure
qui appelle et attire aux choses célestes et au salut propre de l’âme,
l’apaisant et la pacifiant en son Créateur et Seigneur. » (§ 316)
- « J’appelle désolation tout le
contraire de la troisième règle, comme par exemple, obscurité de l’âme, trouble
intérieur, motion vers les choses basses et terrestres, absence de paix venant
de diverses agitations et tentations qui poussent à un manque de
confiance ; sans espérance, sans amour, l’âme se trouvant toute
paresseuse, tiède, triste et comme séparée de son Créateur et Seigneur. Car de
même que la consolation est à l’opposé de la désolation, de même les pensées
qui proviennent de la consolation sont à l’opposé des pensées qui proviennent
de la désolation. » (§
317)
- Donc, la consolation, ce sont les motions intérieures qui donnent de
l’élan, qui dynamisent, qui donnent de la paix, de la joie, de la confiance, de
l’amour.
= mouvement vers la vie, vitalité
spirituelle
- La désolation est le contraire de la consolation : ce sont les motions intérieures qui paralysent, freinent, troublent, agitent, attristent… La note commune à toutes les désolations est probablement la perte de paix. = mouvement contraire à la vie
I. Deux principes
fondamentaux
« L’Esprit de Dieu va toujours dans
le sens de la vie. »
« Le mauvais esprit va toujours
dans le sens de la mort. » [2]
Ø
Ce sont
des principes fondamentaux, mais généraux. Dans le concret les tactiques de
Dieu et de l’ennemi sont différentes dans deux cas de figures différents, dans
deux options fondamentales opposées de la personne : soit que la personne
a une vie orientée vers le mal, ou vers le bien.
A. Première
situation : une pente vers le mal, une vie à la dérive.
Ø
C’est la
situation de celui qui se laisse entraîner vers la pente du mal, et qui va de
péché grave en péché grave. « Ainsi par exemple ceux qui choisissent
délibérément une vie de débauche ou de mensonge, ceux qui vivent dans la
corruption et la course à l’argent. » (M. Lorrain, Discerner, p. 21-22) Ceux qui adoptent comme principe de vie les
plaisirs, la richesse, le pouvoir, la gloire.
Ø
« Dans
ce cas, le mauvais esprit va dans son sens, trop content de le voir
aller à la dérive ! Il l’entraîne à continuer ce chemin. (…) Et
l’ennemi lui fait imaginer tous les plaisirs et les avantages à retirer de
cette situation. » (M. Lorrain, Discerner,
p. 22) Le mauvais esprit tente d’endormir la conscience, de persuader que
finalement ce qu’il fait n’est pas si mal ou pas grave. Il voile les
inconvénients de cette vie de péché.
Ø
« Le
bon esprit, lui, souffle en sens inverse, essayant de freiner la dérive.
Il vient aiguillonner la conscience et déranger la fausse tranquillité pour lui
faire sentir que quelque chose ne va pas. Il nous laisse insatisfait de cette vie
de faux plaisir pour nous inviter à changer de direction. » (M. Lorrain, Discerner, p. 22)
L’Esprit de Dieu vient déranger la quiétude et travailler la personne par le
remords.
B. Une vie orientée vers le bien, vers le
progrès
Ø
Si l’on
est dans l’autre camp, si on a une option fondamentale de vie orientée vers le
bien, les tactiques du mauvais esprit et de l’Esprit de Dieu s’inversent.
« C’est normal, puisque le sujet maintenant rallie le camp de Dieu au
lieu de joindre l’Adversaire. » [3]
Ø
Le mauvais
esprit est contrarié de cette option fondamentale pour le bien, pour la
vie. Il va essayer de freiner, de dissuader, de décourager.
Ø
Le bon
esprit au contraire va encourager, donner de la force, de la joie, il va
aplanir les obstacles.
Ø
Dans la
règle N° 314, St Ignace décrit les deux tactiques, de l’ennemi et de Dieu, pour
ceux qui ont une optique de vie orientée vers le bien :
« Le propre du mauvais esprit est de mordre, d’attrister
et de mettre des obstacles, en inquiétant par de fausses raisons pour qu’on n’aille
pas plus loin. Et le propre du bon esprit est de donner courage et
forces, consolations, larmes, inspirations et quiétude, en rendant les choses
faciles et en écartant tous les obstacles, pour qu’on aille plus en avant dans
la pratique du bien. » (§ 314) [4]
Ø
A. Demoustier : « Il est donc très utile d’exercer une certaine surveillance sur
la manière dont se déroulent nos pensées. Si elles conduisent au trouble, elles
ne sont pas de Dieu, quoi qu’il en soit des apparences. Quand Dieu parle pour
nous faire savoir des vérités dures à entendre, son intervention peut faire
mal, très mal. Mais elle porte toujours avec elle la force nécessaire. Elle ne
trouble pas ni n’attriste. Si ce que nous attribuons à Dieu nous enlève la paix
et la joie, c’est que nous nous trompons. Reste alors à se détourner de ces
pensées et de faire foi en ce Dieu qui console pour que la paix et la joie
puissent revenir. »
II. Un troisième principe fondamental : Dieu veut le bonheur de
l’homme
Ø
A. Demoustier : « Dieu veut le bonheur de l’homme. Tel est le présupposé de
base de tout discernement. » [5]
Donc, « le bonheur, sa recherche et son accueil sont la marque et le
point de repère essentiel de tout discernement. » Donc, l’Esprit de Dieu
va toujours dans le sens du bonheur, le mauvais esprit va toujours dans le sens
du malheur.
Ø
St Ignace : « C’est le propre de Dieu et de ses anges de donner, dans
leurs motions, la véritable allégresse et joie spirituelle, en supprimant toute
tristesse et trouble que suscite l’ennemi. Le propre de celui-ci est de
lutter contre cette allégresse et cette consolation spirituelle, en présentant
des raisons apparentes, des subtilités et de continuels sophismes. »
(§ 329)
Ø A. Demoustier : « Qu’elle soit directe ou passe par
l’intermédiaire de messagers, l’action de Dieu est caractérisée par la joie
et l’allégresse. Une véritable consolation vient toujours de Dieu,
directement ou indirectement. (…) A cette action divine s’oppose celle de
l’ennemi qui, sur la défensive,
contre-attaque. Il cherche à lutter contre la paix en semant l’inquiétude. Ce
qui augmente la tristesse et le trouble vient de l’ennemi. » (p.
72)
Ø « La fin du
paragraphe signale la faille qui permettra à l’ennemi de glisser ses
insinuations : la capacité de raisonner. Il ne peut pas provoquer
directement le trouble. Il n’a pas le pouvoir d’agir sur la dimension
corporelle de l’être humain, ni même directement sur l’affectivité. Il ne peut
le faire qu’en passant par des pensées et des images mentales, en suggérant de
leur donner foi. » (A. Demoustier,
p.72)
III. Qu’entendre par « mauvais esprit » ?
Ø Qu’entendre par « mauvais
esprit » ? St Ignace l’identifie avec « l’ennemi », ou avec
« l’ennemi de la nature humaine », autrement dit Satan ou le diable.
« Dans notre époque de psychologie des profondeurs et de médecine
psychosomatique, on a tendance à penser que beaucoup de choses ont été mises
sur le compte du diable qu’il serait plus juste d’attribuer à notre propre
subconscient et aux interactions subtiles entre l’esprit et le corps en chacun
de nous. »
Ø Selon T. Grenn,
« il n’est guère important de savoir si la désolation
spirituelle ressentie vient de notre propre subconscient, de l’environnement et
de la culture dans lesquels nous baignons, ou du diable au sens propre. En ce
qui concerne le discernement, nous pouvons entendre par "le mauvais
esprit" ou "le diable" toutes les forces qui travaillent contre
Dieu, qu’elles soient "naturelles" ou strictement diaboliques. »
(Art et pratique du discernement spirituel, p. 117)
Ø
Pourquoi
l’importance de savoir repérer et reconnaître nos mouvements intérieurs
consolation – désolation ? Parce que le discernement se fait par l’examen
de ces mouvements intérieurs ; c’est ce que l’on appelle le « discernement
des esprits ». Pour discerner, il faut savoir discerner les esprits
qui nous habitent. C’est ce discernement des esprits qui nous permet de repérer
si le choix que nous opérons vient de Dieu ou d’une autre source.
Ø Les sentiments (mouvements intérieurs ou motions) occupent une place très importante dans le discernement spirituel. Il faut sentir les mouvements profonds qui se produisent en nous, pour pouvoir distinguer ceux qui viennent de l’Esprit Saint et ceux qui viennent d’autres sources. Ce que l’on appelle motions sont des mouvements intérieurs touchant aussi bien l’intellect que l’affectivité (la tête et le cœur). Le discernement implique l’analyse de ces motions intérieures, il consiste à discerner les différents sentis de l’âme :
Ø
« Plus le chrétien développe sa vie intérieure et plus il perçoit en lui
des inspirations, des mouvements qui tendent soit à le rapprocher
de Dieu, soit à l’en éloigner. Discerner parmi ces influences celles qui
sont bonnes et celles qui sont mauvaises est important. La théologie
spirituelle a recueilli les règles et les conseils donnés au cours des âges
pour accomplir cette distinction. Elle nous les présente sous le nom de discernement
des esprits. » (in CE 106, p. 56)
Ø St
Ignace : « J’appelle
désolation tout le contraire de la troisième règle, comme par exemple,
obscurité de l’âme, trouble intérieur, motion vers les choses basses et
terrestres, absence de paix venant de diverses agitations et tentations qui
poussent à un manque de confiance ; sans espérance, sans amour, l’âme se
trouvant toute paresseuse, tiède, triste et comme séparée de son Créateur et
Seigneur. Car de même que la consolation est à l’opposé de la désolation, de
même les pensées qui proviennent de la consolation sont à l’opposé des pensées
qui proviennent de la désolation. » (§ 317)
Ø La désolation est le contraire de la consolation : ce sont les motions intérieures qui paralysent, freinent, troublent, agitent, attristent… La note commune à toutes les désolations est probablement la perte de paix. = mouvement contraire à la vie, qui pousse vers le bas. La désolation, ce sont toutes les motions qui me poussent à m’éloigner de Dieu.
Ø
Parfois,
lors de l’accompagnement, il y a des personnes qui disent : « Je
ne comprends pas ce qui m’arrive : avant, Dieu me semblait proche, j’avais
du goût pour la prière, pour les choses spirituelles, il me semblait que tout
était clair, je voyais bien par quel chemin Dieu me menait. Aujourd’hui, Dieu
me semble lointain, absent, je n’ai plus de goût à la prière, les temps
d’oraison et de méditation me pèsent, me semblent longs. Je ne comprends plus
rien à la vie, les voies de Dieu me semblent obscures, il me semble que les
lumières que j’ai pu avoir autrefois, je ne les ai plus. J’ai l’impression
d’avoir perdu la foi, perdu l’amour de Dieu. »
Ø Les caractéristiques de la désolation :
- La
principale : l’absence de paix, le trouble intérieur, venant de pensées
qui poussent à un manque de confiance.
- L’obscurité de l’âme, ténèbres de l’âme, sentiment de ne plus voir clair, de ne plus comprendre. Intelligence obscurcie.
- Non
goût aux choses spirituelles, absence de goût à la prière, penchant vers le bas,
vers les réalités peu spirituelles.
-
Inquiétude, perte de confiance. L’ennemi va pousser à ce que cette agitation
ébranle la personne, secoue ses certitudes, et lui faire abandonner le chemin
entrepris.
- Manque d’espérance, impression de ne plus avoir la foi,
de ne pas aimer Dieu.
- Manque d’élan, de dynamisme, paresse de l’âme.
Il ne faut pas
confondre désolation et déprime ou dépression, bien que les deux peuvent
parfois être liés. Critères permettant la distinction entre désolation
spirituelle et déprime :
Ø
« Chez
une personne vivant une désolation spirituelle :
- La plainte porte avant tout sur la relation à
Dieu.
- Son objet est la disparition des effets de la
consolation.
- Les facultés sont perturbées dans leur
exercice.
- L’origine en est une tentation à laquelle on
a plus ou moins succombé.
Ø
Chez
une personne déprimée :
- La plainte tourne autour de l’image qu’elle a
plus ou moins consciemment d’elle-même et / ou qu’elle pense que les autres ont
d’elle.
- Son objet est une énigme, et les tentatives
pour le situer et le décrire ne sont pas convaincantes, même pour l’intéressé.
- Les facultés sont plus ou moins inhibées.
- L’origine en est des processus plus ou moins
inconscients. » [6]
Ø
Il existe
des situations où il y a à la fois dépression et désolation. On trouve alors à
la fois les critères de la dépression et ceux de la désolation.
Ø Dans la neuvième règle, St
Ignace donne trois causes principales à la désolation :
« Il
y a trois causes principales pour lesquelles nous nous trouvons désolés.
La première c’est que nous sommes tièdes, paresseux ou négligents dans
nos exercices spirituels ; ainsi, c’est à cause de nos fautes que la
consolation spirituelle s’éloigne de nous.
La deuxième, pour nous faire éprouver ce que nous valons et jusqu’où
nous allons dans son service et sa louange sans un tel salaire de consolations
et de grandes grâces.
La troisième, pour nous donner véritable savoir et connaissance – en
sorte que nous le sentions intérieurement – de ce qu’il ne dépend pas de nous
de faire naître ou de conserver une grande dévotion, un amour intense, des
larmes, ni aucune autre consolation spirituelle, mais que tout est don et grâce
de Dieu notre Seigneur ; et aussi pour que nous ne fassions pas notre nid
chez autrui, exaltant notre esprit en un orgueil ou une vaine gloire qui nous
attribue à nous-mêmes la dévotion ou les autres formes de consolation
spirituelle. » (§ 322)
1.
Donc, sur les trois causes, seule la première est directement
personnelle. Dans cette première cause, la personne, par ignorance,
inattention ou négligence, n’a pas mis en œuvre les moyens ou les conditions
pour être ouvert à la consolation. Ce peut être à cause d’une journée
éprouvante que la personne manque de sérieux et de présence dans sa prière, qui
demeure alors sèche. Il y a donc à vérifier si la désolation n’est pas
simplement la conséquence d’un manque ou d’une négligence. La désolation peut
aussi venir de la routine, qui dispense d’un investissement authentique. Donc,
en cas de désolation, vérifier, sans en venir aux scrupules, s’il n’y a pas
déficience ou négligence de notre part.
Parfois, malgré la bonne
volonté, la désolation persiste. L’impuissance à en sortir peut progressivement
faire apparaître un orgueil subtil qui vicie la bonne volonté.
Toujours est-il que si nous ne voyons pas d’où
vient la désolation, nous n’avons pas à entrer dans les scrupules. Nous pouvons
faire à Dieu cette prière, en toute simplicité : « Seigneur, tu
sais que je veux avant tout te plaire. Tu es libre de me reprendre comme tu
l’entends, mais je n’arrive pas à voir où j’ai pu me montrer négligent ou tiède
malgré mes efforts sincères pour examiner ma conscience. Je te demande donc de
me montrer si je t’ai offensé sur quelque point et, tant que tu ne l’auras pas
fait, je refuserai de prendre au sérieux
ces vagues sentiments de doute ou d’inquiétude. » (T.
Green, p. 132)
2. La deuxième cause : c’est pour éprouver ce que nous
valons : notre
amour est-il authentique ou intéressé, utilitaire ? Sommes-nous au service
de Dieu pour les avantages que nous en tirons ? « Vais-je à Dieu
pour lui-même ou simplement pour les élans, les satisfactions qu’il m’apporte
comme un enfant qui ne viendrait auprès de ses parents que pour avoir des
friandises ? La désolation est un chemin qui purifie l’amour de ce qui
reste égoïste. » (M. Lorrain,
p. 28)
3. La troisième cause : pour nous montrer qu’il ne dépend pas de nous
de faire naître la consolation, une grande piété, un amour intense, une
pratique assidue… « Il désire nous apprendre que tout est don et
particulièrement la rencontre que nous faisons de Lui dans la consolation. Il
n’existe pas de techniques qui fassent faire l’expérience de Dieu. Dans cette
rencontre, il est le Seigneur, et vient ou part quand il juge bon. Si nous le
savons en théorie, nous cherchons tous, en pratique, à manipuler nos rencontres
avec lui. (…) Cette découverte est dure pour l’âme ardente, mais il faut qu’il
en soit ainsi, car autrement Dieu ne serait pas Dieu. Si nous pouvions le faire
apparaître à volonté, si nos techniques et nos moyens pouvaient nous procurer
la consolation, Dieu ne serait pas vraiment Dieu mais le produit de notre
imagination et de nos émotions. » (T. Green, p. 132-133)
Je dois savoir que
l’alternance entre consolation et désolation est normale, qu’en toute vie il y
a ces deux états, cette alternance. Un peu comme l’alternance des saisons dans
l’année. Toute vie a ses hivers et ses étés. Et les deux sont utiles, voire
nécessaires.
Ø
Le
temps de la consolation est comme l’été : c’est le temps où j’ai conscience que la vie circule en moi, c’est
le temps de la vitalité spirituelle, d’une croissance visible.
Ø
Le
temps de la désolation est comme l’hiver : on a l’impression que la vie s’arrête, que tout est mort.
Pourtant, plus je travaille le jardin, plus je découvre l’importance de
l’hiver. Plus je découvre combien de choses se passent en hiver. La vie ne
s’arrête pas en hiver, mais elle est plus souterraine. L’hiver est un temps de
germination, d’enracinement : ce n’est pas la même chose de planter un
arbre en automne ou au printemps.
Presque toutes les plantes alpines ont
besoin de l’hiver, du froid pour germer. C’est cet hiver, ce froid, qui
interrompt un mécanisme de dormance inscrite en elles. Concrètement, il faut
mettre au frigo le semis pendant quelques semaines, si on veut qu’elles germent.
L’hiver de la vie, le temps de la désolation, c’est ce
qui vient en nous réveiller certaines vitalités, ce qui vient ôter certaines
dormances. C’est le temps de la germination au froid. C’est aussi le temps
d’enracinement, le temps de la vie souterraine, de la vie cachée.
Ø
Dans le
mariage aussi il y a la
présence de l’été et de l’hiver, du meilleur et du pire. On se marie pour le
meilleur et pour le pire. Et comme le dis T. Green,
« le "pire" nous est nécessaire autant que le
"meilleur", aussi surprenant que cela puisse paraître dans une
période de sentimentalité. Dans le meilleur, nous apprenons la joie
d’aimer ; dans le pire nous apprenons à aimer de manière
désintéressée ; le pire est le feu qui purifie notre amour de l’égoïsme
qui est en chacun de nous. (…) Pareillement, la désolation est le
"pire" de notre relation d’amour avec Dieu. Elle révèle et fortifie à
la fois notre amour : elle "éprouve" cet amour par un feu qui le
purifie et le transforme. » (p. 135)
Ø
A. Demoustier : « Selon la
tradition de l’Église, la perspective des règles de discernement d’Ignace de
Loyola est portée par un optimisme foncier et lucide. En tout état de cause, quelle
que soit l’épreuve, l’issue sera positive, à la seule condition de se laisser
porter par le mouvement et de le soutenir grâce à l’emploi des moyens
spirituels déjà découverts, et de ne pas en perdre le bénéfice en cessant de
les mettre en œuvre. » (p.
62)
Ø
St Ignace donne une règle fondamentale,
à ne jamais oublier : « Au temps de la désolation, ne jamais faire
de changement, mais être ferme et constant dans les résolutions et dans la
décision où l’on était pendant la consolation précédente. « (§ 318) Si ma décision d’entrer au monastère a été
prise dans la prière, dans la paix et une certaine joie, je ne dois surtout pas
la changer lorsque je suis dans un état d’agitation intérieure, de trouble,
d’inquiétude, de déprime ou de découragement.
Car, St Ignace nous dit encore : « De même que dans
la consolation c’est davantage le bon esprit qui nous guide et nous conseille,
de même dans la désolation c’est davantage le mauvais : avec ses conseils,
nous ne pouvons pas prendre le chemin pour réussir. »
Ø
T. Green : « La désolation est le signe que le mauvais esprit est à
l’œuvre et c’est pourquoi il ne faut jamais prendre de décision ou en
changer dans ces moments-là, sous peine de prendre le diable comme directeur
spirituel. Cette règle est si importante que, souvent, je recommande aux gens de
se souvenir de celle-là, quitte à oublier tout ce qu’ils auront pu entendre par
ailleurs sur le discernement. S’ils se rappellent cette règle fondamentale pour
leur vie spirituelle et qu’ils la suivent, ils éviteront quatre-vingt-dix pour
cent de leurs malheurs. Le bons chrétiens prennent de mauvaises décisions parce
qu’ils interprètent de travers la désolation, et qu’ils prennent le
découragement, l’aridité et l’inquiétude comme des signes leur indiquant la
volonté de Dieu. » (p. 123)
Ø
Une
autre règle de St Ignace : « Bien que dans la désolation nous ne
devions pas changer nos résolutions premières, il est très profitable de faire
énergiquement des changements contre cette même désolation. » (§ 319)
S’il ne faut rien changer aux options, aux choix pris précédemment, il faut me
changer moi, mon état intérieur, ou ce qui le cause. Essayer de changer ce qui
est la cause de la désolation.
Ø
Un
autre point très important : en parler, s’ouvrir à quelqu’un qui a une certaine connaissance de ces
mouvements spirituels.
·
Encore
un principe fondamental : La
désolation est l’œuvre du mauvais esprit, elle n’est jamais le signe de la voix
de Dieu. (cf. T. Green, p. 122)
Ø Si la désolation ne vient pas de Dieu, nous
éloigne-t-elle alors de Dieu ? Comment peut-elle nous permettre alors de
grandir ? On peut percevoir comme une contradiction. T. Green nous aide à voir clair sur ce
point : si la désolation ne vient pas de Dieu, « la
désolation est souvent un moyen très efficace pour purifier et approfondir
notre amour de Dieu. Il y a là un paradoxe : la désolation n’est jamais envoyée
par Dieu et pourtant elle est parfois un moyen très efficace de
croissance. » (p. 119)
Ø La désolation, dans la mesure où nous ne nous
laissons pas avoir par ce que le mauvais esprit veut nous faire croire, nous
permet de grandir dans la foi, l’espérance et l’amour. C’est un peu l’expérience
pénible qu’a vécue Job.
« Satan est la cause de la désolation que
traverse Job bien qu’il ne puisse agir sans la permission de Dieu. Or pourquoi
Dieu autorise-t-il Satan à éprouver Job si sévèrement ? D’une façon
mystérieuse, c’est pour vérifier ou prouver la fidélité de Job. » (T.
Green, p. 129)
Ø Il ne faut pas confondre désolation et péché,
tout comme il ne faut pas confondre tentation et péché…
Ø Le fait que je sois dans un état de désolation, qui n’est pas causée par Dieu mais par le mauvais esprit, ne veut pas dire que je suis en état de péché, ou que je suis sous l’emprise du mauvais esprit.
Ø
Jésus a
été tenté (entre autres au désert), mais n’a pas succombé à la tentation. Il a
été désolé, en particulier lors de son agonie, mais n’a pas cessé de faire la
volonté de son père, au sein même de cette désolation. La désolation ne vient
pas de Dieu, mais je reste libre par rapport à celle-ci, par rapport à ce que
le mauvais esprit veut me faire croire dans cette désolation.
Maret Michel, Communauté du Cénacle au Pré-de-Sauges
[1] Joseph Pegon, in Discernement des Esprits, in Dictionnaire de spiritualité, p. 1267.
[2] Monique Lorrain, Discerner. Que se passe-t-il en nous ? Vie Chrétienne N° 480, p. 21.
[3] J. Gouvernaire, Mener sa vie selon l’Esprit, Supplément à Vie Chrétienne N° 204.
[4] Cf. Aussi T. Grenn, p.
114 : image de l’eau tombant sur de la pierre ou sur une éponge.
[5] A. Demoustiers, Vers le bonheur durable. Supplément Vie Chrétienne N° 366, p. 69
[6] B.-V. Aufauvre, Désoltation spirituelle et / ou dépression, in Christus N° 197, p. 32.